- Les faits
- Les doutes
- Le procès
- L’empoisonnement
- Les autres cas dans le monde
- Quel rapport avec le sida
- Les dérapages de la science
- Le rôle des experts
- Conclusion
Ce que l’on a appelé le « syndrome de l’huile toxique » est exemplaire d’à peu près tous les maux dont notre temps est affligé, d’abord parce que ce nom même est un leurre. L’empoisonnement qui, de la fin d’avril 1981 au début de l’année 1982, a fait plus de mille morts et frappé quelques dizaines de milliers d’autres victimes d’infirmités diverses (des cécités temporaires et atrophies musculaires jusqu’aux paralysies définitives) est tout récemment réapparu dans l’actualité, à l’occasion d’ultimes péripéties judiciaires. Mais sans que soient remises en cause l’explication officielle des faits et la culpabilité des empoisonneurs désignés.
La version finalement imposée, d’abord en butte aux doutes de certaines victimes et au scepticisme d’une partie du corps médical, reçut rapidement l’aval des plus hautes autorités en la matière l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.) et les Centers for Disease Control (C.D.C.) d’Atlanta. Le syndrome toxique aurait été provoqué par la consommation d’huiles de colza d’origine française, dénaturées à des fins d’utilisation industrielle, puis retraitées grossièrement, avant d’être mises en vente sur des marchés périodiques par des industriels peu scrupuleux, vite démasqués et aussitôt placés sous les verrous.
Une autre hypothèse est avancée dans les colonnes de Ya du 12 mai par le Dr Angel Peralta Serrano, mettant en cause un empoisonnement par des produits organophosphorés ; de leur côté les premiers partisans de l’hypothèse d’un empoisonnement par voie digestive ne désarment pas. Le 13 mai, afin de convaincre leurs interlocuteurs du ministère de la Santé, les Drs Muro et Juan Raùl Sanz (responsable de la Santé à Torrejon de Ardoz) leur annoncent, en se fondant sur les emplacements connus des marchés périodiques, les lieux où apparaîtront le lendemain de nouveaux cas. Le 14 mai leurs prévisions se trouvent confirmées, mais le jour suivant, par une note du ministère de la Santé, l’équipe du Dr Muro apprend que ce dernier, victime « d’un grand stress et d’une grande fatigue physique et psychique », est relevé de ses fonctions ; probablement, selon une formule fameuse, pour encourager les autres.
La suite de ce que l’on appelle dès lors l’affaire du syndrome de l’huile toxique se déroulera néanmoins dans une atmosphère de tragédie, car bien qu’ayant prétendument identifié la cause de la maladie, la médecine ne parviendra pas à trouver un traitement efficace et le bilan continuera de s’alourdir chaque semaine. La maladie à ce stade se caractérise par une évolution lente, très souvent irréversible, et de nombreux malades considérés comme guéris seront à nouveau hospitalisés sans que l’on puisse éviter une issue mortelle. Le 20 août 1981, on compte déjà quatre-vingt-seize morts et onze à douze mille personnes intoxiquées. En octobre, le journal barcelonais La Vanguardia, ne laissant pratiquement aucune chance de survie aux personnes hospitalisées, estimera le nombre final de morts à un millier ; on prévoit des milliers d’infirmes 13.13. Selon une note de l’O.M.S. du 5 avril 1984, tous les malades présentaient de graves risques de développer divers types de cancers...(El monta je del sindrome toxico, p. 171.) Naturellement, aucun de ces cas ne sera comptabilisé dans le bilan officiel des victimes.
Le bilan réel, probablement proche des évaluations initiales, ne sera jamais connu officiellement, évoluant du simple au triple en fonction des critères retenus, c’est-à-dire des nécessités politico-judiciaires du moment. Le quotidien El Mundo du 3 mai 1994, relatant une manifestation de victimes, parlera finalement de 20000 intoxiqués et de plus de 1200 morts ; la mort étant un état difficilement discutable, même pour un gouvernement, il lui revient alors seulement de décider sans réplique qui est mort de quoi. 1414. Ainsi pour les nucléaristes, le bilan officiel du désastre de Tchernobyl s’élevait toujours à la fin de l’année 1993 à 42 morts, tandis que le gouvernement ukrainien avait indiqué, le 22 avril 1992, que dans cette seule région de l’ex-U.R.S.S. « six mille à huit mille habitants de l’Ukraine sont morts des suites de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl ». (A.F.P., 23 avril 1992 ; et Energy Economist, avril 1992.)
Après quelques autres rebondissements, et la mise en cause répétée de pesticides organophosphorés produits par la firme allemande Bayer, le procès s’ouvrira finalement le 30 mars 1987. Ce procès-fleuve, malgré l’incohérence et la fragilité de l’acte d’accusation lui-même, confirmera la thèse officielle. Les avocats de la partie civile parleront d’huile meurtrière ; quant à l’avocat général, il ne demandera pas moins de cent mille années de prison contre les trente-huit fabricants d’huiles pour homicide, atteinte à la santé publique et falsification de documents. Le syndrome toxique a en effet, selon les critères retenus par la Cour, fait plus de six cents morts et vingt-cinq mille malades. L’accessoire, ici la lourdeur de la justice, la gabegie administrative, les querelles scientifiques, la servilité des médias et ce fait si familier qu’avant toute investigation sérieuse les autorités s’empressent de dire n’importe quoi qui puisse passer pour une démonstration de rassurante compétence car l’État qui éduque et instruit tout le monde ne doit jamais être pris en flagrant délit d’ignorance - bref, tout cet attirail de notre modernité est on ne peut plus authentique. Quant à l’essentiel, il est entièrement falsifié, la cause prétendue de cette épidémie n’ayant jamais eu la moindre réalité .Naturellement, personne n’a mis en doute l’existence de la fraude alimentaire qui a servi de pièce maîtresse à ce camouflage, mais l’huile dénaturée n’était pas plus toxique que la moyenne des aliments frelatés par l’industrie alimentaire, officielle ou clandestine ; aliments qui sont consommés quotidiennement par l’immense majorité des populations.
En mars 1983, une nouvelle commission épidémiologique, présidée par le Dr Susana Sans de Barcelone, fut donc mise en place ; les Drs Martinez Ruiz et Clavera, membres de cette commission, commencèrent leurs travaux l’été suivant. Le Dr Martinez Ruiz découvrit d’abord que la baisse du nombre de nouveaux cas débutait avant l’annonce officielle de la thèse de l’huile toxique et donc a fortiori avant l’opération de troc qui devait en faire cesser la consommation. [1]. Par ailleurs, cinq millions de litres d’huile furent ainsi récupérés, ce qui correspond, en gardant l’estimation de vingt-cinq mille malades, à une provision de deux cents litres par personne. Quantité proprement ahurissante, sauf à penser que ces gens, pauvres pour la plupart, se préparaient aux restrictions d’une Troisième Guerre mondiale. Il fallait donc admettre que des centaines de milliers, voire des millions de personnes avaient bien consommé ces huiles sans en être le moins du monde incommodées, si l’on voulait rester dans les limites connues du stockage domestique de denrées alimentaires. [2]
Si d’innombrables Espagnols avaient consommé cette huile prétendument toxique sans dommages, il y en eut aussi pour être frappés par la maladie sans en avoir jamais consommé. Le Dr Muro avait très vite retenu l’hypothèse d’un empoisonnement alimentaire. D’après lui, seules les tomates répondaient à ces critères. Les tomates sont cueillies au fur et à mesure de leur mûrissement et sont envoyées à une centrale d’achat ; fruits sainset fruits toxiques peuvent donc être commercialisés en même temps. Mais comme les tomates ont une peau cireuse très protectrice et qu’on les lave habituellement avant de les consommer, si le toxique était bien dans les tomates, il devait s’agir d’un poison systémique, c’est-à-dire qui agit en se propageant dans tout le système de la plante, des racines aux fruits. Un examen attentif des symptômes cliniques des malades l’avait par ailleurs convaincu que le toxique était un poison à effet lent qui attaquait progressivement tous les tissus de l’organisme. Des analogies évidentes apparaissaient entre son effet et celui d’un empoisonnement par le phosphore organique contenu dans les pesticides massivement utilisés dans l’agriculture moderne. Et ces pesticides ont justement un effet systémique, qu’ils soient destinés à la destruction de microorganismes, de plantes parasites ou d’insectes.
Une abondante littérature existe sur ce sujet, car ces pesticides sont à l’origine de millions de cas d’intoxication et de dizaines de milliers de morts par an, principalement parmi les travailleurs agricoles du tiers-monde, mais pas exclusivement. [3]
A la suite de ses expériences, le Dr Muro était certain d’avoir déterminé la cause générale du syndrome toxique et d’avoir identifié un agent précis, en l’occurrence le Nemacur 10, nématicide mis au point par la société Bayer. Le Nemacur, interdit d’emploi en Allemagne et en France, sauf sur les plantations de bananes (ce qui signifie que son emploi est régulier dans les départements d’outre-mer), était en revanche autorisé sans restrictions en Espagne, sans même que sa composition chimique soit indiquée sur les étiquettes. On doit en conclure que, dans la division internationale du travail, l’Espagne était alors considérée comme un pays du tiers-monde. Pour que l’utilisation d’un pesticide puisse être autorisée dans un pays développé - c’est-à-dire que sa nocivité y soit jugée tolérable -, il doit auparavant être testé en plein champ et à grande échelle dans une région possédant à la fois une agriculture industrialisée, des services sanitaires capables de déceler la nocivité du produit et les moyens coercitifs adéquats pour en étouffer ou en rendre inutile l’éventuelle publicité. Actuellement, les anciens États bureaucratiques remplissent idéalement ces conditions. L’Ukraine en particulier a été transformée en polygone d’essais chimiques des entreprises étrangères ; la population devant déjà subir les effets de l’irradiation de Tchernobyl, il sera aisé dans les futures querelles d’experts de nier la réalité de ce que la presse locale nomme un « génocide chimique ». Ces « précautions d’emploi » proprement criminelles des pays dits développés, qui sont généralement les pays producteurs, ne doivent pas rassurer outre mesure le consommateur de ces pays, qui se croirait ainsi privilégié, car les végétaux traités de cette manière sous des latitudes exotiques reviennent dans son assiette par le biais des importations.
Le Dr Muro, s’il eut le mérite d’être le premier à découvrir la vérité, ne fut cependant pas le seul. Un autre médecin, le Dr Sanchez-Monge, appelé à examiner en novembre 1981 l’enfant d’un de ses amis, atteint du syndrome toxique et paralysé, diagnostiqua un empoisonnement par organophosphorés et put le guérir par un traitement adéquat. Le Dr Sanchez-Monge, en tant que médecin militaire, était préparé à soigner les victimes éventuelles des gaz de combat modernes, qui sont de même nature que les pesticides. Il ne pouvait manquer de remarquer l’analogie entre les effets de ces gaz et le syndrome toxique En février 1982, il traitera à nouveau avec succès une petite fille elle aussi paralysée, et soignée sans résultat à l’hôpital pour enfants Nino Jesus, dirigé par le Dr Tabuenca. Les médecins de l’hôpital, qui durent reconnaître cette guérison dans leur rapport clinique du 19 mai 1983, refusèrent cependant de prendre connaissance de l’hypothèse et du traitement. Sanchez-Monge informera sans plus de succès ses supérieurs hiérarchiques et seul Cambio 16, dans son numéro du 17 décembre 1984, consacrera un dossier de sept pages au syndrome toxique où seront exposés les hypothèses et les résultats des Drs Muro, Frontela, Clavera, Martinez Ruiz et du lieutenant-colonel Sanchez-Monge. Celui-ci parviendra à guérir sans appui officiel une cinquantaine de malades, ce qu’il confirmera en février 1991 au cours d’un reportage de la télévision britannique Yorkshire TV consacré au syndrome toxique. L’interview n’avait toutefois pu avoir lieu qu’à la condition expresse qu’il ne fût pas fait mention de sa qualité de médecin militaire.
Il y a tout lieu de penser que la cause réelle de l’épidémie était déjà connue des plus hautes autorités, et qu’il avait été décidé de la camoufler par tous les moyens.
Ce faisant, on condamnait délibérément les victimes à la mort ou à l’infirmité puisqu’on interdisait de fait la mise au point des traitements adéquats la maladie étant systémique et évolutive, si dans les premiers jours de l’empoisonnement il pouvait suffire d’administrer comme antidote de l’atropine (mentionnée en tant que tel sur les emballages de Nemacur), ensuite la mise au point d’un traitement comme celui du Dr Sanchez-Monge était obligatoirement longue et complexe, dépendant du stade d’évolution de l’intoxication.
Des révélations récentes, censées rassurer par ce simple fait qu’en reconnaissant des exactions vieilles de quelques décennies on voudrait nous convaincre qu’elles ne sont plus renouvelables, montrent bien dans quelles conditions ordinaires et démocratiques elles ont pu s’inscrire, sans que des intérêts militaires soient exclusivement impliqués. [4]
« A partir de 1952, il fut possible d’effectuer des lâchers réguliers à partir de Windscale, et on a décidé de les combiner avec un programme détaillé de contrôle, pour composer une expérience. [...] Depuis, on a maintenu délibérément les lâchers à un niveau inférieur à celui autorisé, mais suffisamment élevé pour qu’on obtienne une activité détectable dans des échantillons de poissons, de flore marine et de sable du rivage, et l’expérience continue » (Cf. Wise, n° 398, Amsterdam, 24 septembre 1993.) En France, les nucléaristes ne sont d’ailleurs pas en reste en matière de fuites expérimentales : « Quand le C.E.A. crache exprès de la radioactivité - une technique originale pour mesurer les dégâts provoqués par les radiations : lâcher des gaz toxiques. [...] Cet exploit scientifique passionnant s’est déroulé à quelques dizaines de kilomètres de Paris, il y a déjà six mois, mais on vient seulement de l’apprendre. Le centre d’études du C.E.A., implanté à Bruyères le-Châtel (Essonne), a rejeté en octobre dernier deux fois un gramme de tritium. Pour se faire une idée, un gramme de tritium représente une radioactivité de dix mille curies. Une centrale nucléaire de neuf cents mégawatts a droit à un rejet annuel de deux cents curies en tritium. A Bruyères-le-Châtel, on a donc lâché d’un seul coup et en un seul endroit, ce qui est toléré en un an pour tout le parc nucléaire français. »(Le Canard enchaîné, 6 mai 1987.)
Nous n’avons donc pas affaire là à quelques Docteurs Folamour auxquels il serait éventuellement possible de tenir la bride courte, mais aux conditions usuelles dans lesquelles s’exerce la fonction scientifique. La même pratique du secret la même irresponsabilité envers la société, le même mépris pour l’homme réel règnent dans tous les laboratoires et, par voie de conséquence, il est tout aussi impossible de savoir quelle est la cause du syndrome toxique, quelles sont les raisons pour lesquelles quelques Airbus se sont écrasés ou quelle est la responsabilité réelle du virus V.I.H. dans la maladie dénommée « syndrome d’immunodéficience acquise ».Mais c’est surtout à propos de l’effondrement des défenses immunitaires auquel on a donné le nom de sida que s’illustre en notre fin de siècle la flagrante irrationalité de ce qui se perpétue sous le nom de science.
On retrouve là, à très grande échelle et sur la longue durée, tous les traits de l’imposture criminelle que nous avons vue à l’œuvre pour camoufler l’origine réelle du « syndrome de l’huile toxique » ; ce qu’il s’agit de camoufler étant dans ce cas rien de moins que la totalité des conditions de vie pathogènes aujourd’hui imposées à chacun. Énumérons donc ces ingrédients de la vérité officielle sur le sida, en essayant de suivre ce que l’on pourrait appeler leur ordre d’apparition à l’écran la manipulation des données épidémiologiques, avec le rôle du C.D.C. dans la fabrication du dogme affirmant la malignité du « virus du sida », en contradiction avec tout ce qui est su des rétrovirus et des maladies infectieuses [5] ; la définition tautologique de la maladie, le virus se voyant attribué le rôle d’unique agent causal par le simple fait que sa présence est exigée pour diagnostiquer la maladie, laquelle recouvre en fait sous le nom de syndrome une liste modifiée périodiquement de maladies déjà connues, dites opportunistes [6] ; l’impossibilité de prouver la responsabilité de l’agent désigné, avec la conséquence ici d’en trouver sans cesse de nouveaux, « variants » et « sous-types » ; l’intangibilité de la vérité obligatoire sur la maladie, malgré toutes les contradictions logiques qui devraient l’ébranler, en particulier l’existence désormais reconnue de cas d’immunodéficience sans trace d’infection par un quelconque rétrovirus, comme de cas plus nombreux encore de « séropositifs » qui ne développent aucune de ces maladies opportunistes ; les intérêts économiques agissant puissamment pour corrompre tous les protagonistes, depuis les responsables de l’administration sanitaire, n’hésitant pas, pour écouler leurs « produits sanguins », à transmettre ce virus selon eux si redoutable, jusqu’aux lobbies censés défendre les malades et qui se font les propagandistes d’un médicament, l’A.Z.T., dont l’efficacité est reconnue nulle, sinon pour précipiter une issue fatale ; la saturation informative, entretenant l’ignorance, et l’autolégitimation de la thèse officielle, une fois atteinte une masse critique de publications scientifiques ; les coups de théâtre médiatiques et les annonces de résultats mirobolants, aussitôt démentis par les faits ; la perte de toute rigueur méthodologique, puisqu’on ne peut attendre ni reconnaissance ni profit de la mise en cause des conditions de vie actuelles et des drogues licites ou des médicaments qui en font partie intégrante, l’éventuel constat d’échec de dix années exclusivement consacrées à la recherche d’un hypothétique vaccin s’accompagnant seulement de cette pauvre ambition : « donner au hasard une chance de participer à la lutte contre le sida » ; le double langage des experts qui, quand ils sont à quelque distance des tribunes officielles et des institutions où s’obtiennent crédits publics et privés, admettent quelques demi-vérités, comme Gallo ou Montagnier avec leurs « cofacteurs » [7]. Et là aussi on voit des associations de malades souscrire au mensonge qui les tue, des « dissidents » contester en totalité ou en partie le credo imposé sans parvenir à donner vie à des vérités ayant une portée réellement pratique, faute d’une critique cohérente de la civilisation marchande.
Le chercheur moderne, bien qu’encore auréolé du prestige de ses illustres prédécesseurs, est avant tout le tâcheron définitivement prolétarisé d’une activité intégrée à l’industrie planétaire. Dans la plupart des cas, il est voué au labeur sans gloire du laboratoire. Travaillant beaucoup, chichement rétribué, devant gravir péniblement l’échelle hiérarchique à force de soumission et d’arrivisme, son seul espoir de quitter sa médiocre condition d’éternel étudiant et néanmoins souvent professeur - réside dans la découverte suffisamment importante qui lui permettra de sortir des coulisses pour paraître un seul soir sous les feux de la reconnaissance médiatique. Car l’accession à la renommée scientifique emprunte de plus en plus le raccourci de son autoproclamation publicitaire, même si celle-ci doit s’effondrer dans les heures, les semaines ou les mois qui suivent. Ce phénomène encore marginal est plein d’avenir dans la mesure où, si pour la grande majorité des chercheurs la preuve irréfutable de la réalité et de la valeur scientifique de leur travail réside dans la publication d’articles dans les revues internationales qui font autorité, ces revues ne peuvent plus du tout garantir pour autant les quelques qualités de sérieux qui ont fait leur réputation.
Le directeur de Nature, John Maddox, se plaignait ainsi dans Le Monde du 26 juillet 1989 de la multiplication des travaux erronés et, plus grave, d’une « activité en pleine expansion » : « la prolifération de publications délibérément malhonnêtes », tout en précisant que « le phénomène est, pour l’instant, confiné en grande partie à la recherche biomédicale américaine ». Dans un article consacré au syndrome toxique, le seul en France semble-t-il à remettre en cause la version admise, on pouvait lire cette remarque : « Aussi étonnant que cela puisse paraître, le capitalisme n’a pas de critère pour évaluer la valeur d’échange d’une information scientifique [...] il est seulement supposé que si une information est reprise dans un nombre important d’articles, c’est qu’elle peut contribuer à une découverte ».
L’expert est d’abord nécessaire à l’Etat pour s’orienter dans son propre labyrinthe d’opérations et de décisions, il est à son service exclusif. Quand le résultat d’un mode de production est devenu tangiblement catastrophique, la fonction parallèle de l’expert est d’en manipuler la perception et d’en dissimuler les causes ; ce qui le qualifie incontestablement pour cette fonction, c’est d’être impliqué dans la production de cette catastrophe, de savoir de quoi il retourne. Par ailleurs, seul le pouvoir peut autoriser l’accès à la totalité des informations d’un processus technico-industriel déterminé, et ce simple fait frappe d’inanité les tentatives de contre-expertises naissant de la falsification manifeste des conclusions officielles. Le contre-expert pense que la société est fondamentalement rationnelle, que seul un manque d’information objective égare les dirigeants et anesthésie la masse de la population. Pour franchir le mur du silence, il devra donc se soumettre ou rester marginal.
L’industrie nucléaire dans son fonctionnement contaminant ordinaire ou catastrophique est l’exemple même d’une activité anti-humaine où l’expert apparaît dans la réalité de sa fonction ; il n’y est en effet d’experts effectifs que nucléaristes.
Cette constatation a une portée universelle car les conclusions attendues sur les dysfonctionnements réguliers de notre société technicienne sont que seule l’erreur humaine, criminelle ou accidentelle, rend néfaste un système productif au-dessus de tout soupçon. Vaut-il mieux mourir irradié, empoisonné chimiquement ou broyé dans les linceuls d’acier de l’industrie automobile, que de variole, de tétanos ou de syphilis, voilà un problème auquel seuls pourraient s’intéresser des moralistes s’ils n’étaient disparus, emportés parmi la vingtaine d’espèces vivantes qui s’éteignent chaque jour.
Dans le cas du syndrome toxique, où il ne s’agissait pas de minimiser des conséquences mais d’en inventer la cause, il a été nécessaire de dissimuler au public les études mêmes qui fondaient la falsification. Lors du procès des trafiquants d’huile, malgré les réclamations des avocats de la défense, le C.D.C. refusera de communiquer les résultats du Dr Tabuenca censés prouver la responsabilité de l’huile. La direction de l’O.M.S., plus cauteleuse, annoncera qu’elle n’avait jamais été saisie d’une demande officielle de recherche concernant l’origine du syndrome toxique et que ses divers spécialistes y avaient travaillé à titre individuel, leurs conclusions n’engageant donc qu’eux-mêmes.
Il y a plus de trente ans, quand tout laissait penser que le cours de l’histoire pouvait être redressé, la question posée à tous fut ainsi très simplement formulée : « Pourquoi devrions-nous accepter d’absorber des poisons sous prétexte qu’ils ne sont pas tout à fait meurtriers, de vivre dans une ambiance pas tout à fait insupportable, de fréquenter des êtres pas tout à fait ennemis, d’entendre des bruits de moteurs pas tout à fait assez stridents pour nous rendre fous ? Qui donc voudrait vivre dans un monde dont la caractéristique est de n’être pas tout à fait mortel ? »
Pour une médecine écologique
Syndrome de l’huile toxique